Le traducteur, un médiateur culturel
«Même
dans les domaines éloignés de la
littérature, le texte à traduire, le discours
à comprendre, et le message à restituer portent
les marques de leur enracinement dans une culture d’origine
plus ou moins différente de la culture
réceptrice. Un des défis pour le traducteur est
de jouer son rôle de médiateur dans la
communication interculturelle qui sous-tend toute traduction
»
Solange Hibbs, La traduction au XXIe
siècle :
pratiques et défis in Études
et Travaux de
l’école doctorale N°1, 2003,
Université de Toulouse Le Mirail, p. 9.
En matière de communication,
les pratiques varient
d’une culture à l’autre
Il y a plusieurs années,
une agence de traduction italienne
m’a confié un document sur les travaux de
restauration et d’aménagement effectués
à Rome en vue du jubilé (2000). On ne
m’a rien dit sur la finalité du texte, et
à en juger le style et le ton employé,
j’ai pensé qu’il était
destiné à une exploitation touristique. Je
l’ai donc traduit en ce sens. Quelques temps plus tard,
l’agence m’appelle pour me dire que le
destinataire, une institution française
(l’information arrive, mais trop tard !), avait
trouvé le rapport «très italien
» : trop d’envolées, trop
d’effets, trop «charmeur ».
Était-ce le rédacteur italien qui
s’était laissé emporter ? Ou
était-il seulement représentatif
d’une tendance collective qui veut que la
subjectivité et le goût pour l’effet ne
soient pas forcément incompatible avec un objectif
informationnel ? Quoi qu’il en soit, ce texte
aurait dû être adapté l’usage
français, qui dans ce domaine ne mélange pas les
genres, et considère comme suspecte ou ridicule une
envolée lyrique dans un rapport institutionnel. Le
responsable de l’agence, qui appréciait les
qualités rédactionnelles de mes traductions et
avait fait, comme il se doit, relire mon texte, a eu du mal
à saisir les raisons de cette insatisfaction. Quant
à moi, j’ai mesuré
l’importance des paramètres extra-textuels dans
l’élaboration d’une traduction efficace
en terme de communication ; j’ai
décidé de prendre désormais les
devants, posant des questions sur la fonction des documents et faisant
du transfert culturel partie intégrante de mon travail.
Tout n’est pas à
traduire :
lorsqu’on change de culture, certains contenus ne peuvent
plus être perçus.
J’ai
récemment traduit un
communiqué de presse présentant les
manifestations et invités d’un salon
international se déroulant en Italie. J’ai
résumé en deux lignes un paragraphe de dix lignes
entièrement consacré à une vedette de
la télé italienne (inconnue du public
français) et aux émissions qu’elle
anime : il s’agissait ici de références
renvoyant à un contexte strictement national, qui
n’ont aucun intérêt pour les
Français et ne peuvent être adaptées.
Les traduire aurait été non seulement inutile
mais aussi contre-productif car cela aurait
donné au lecteur français l’impression
que l’article, bien qu’écrit dans sa
langue, ne s’adressait pas vraiment à lui.
En revanche, si les
références culturelles sont
essentielles à la compréhension du document, a
fortiori si la fonction principale de celui-ci est de rendre compte de
pratiques, de concepts, d’événements
etc. propres à un pays donné, il convient de
rajouter de l’information pour expliciter les contenus qui
restent opaques dans la culture destinataire (par exemple, dans un
rapport sur les politiques italiennes d’insertion des
travailleurs handicapés, j’ai donné des
précisions sur les organismes et institutions
impliquées), sous forme de notes ou dans le corps du texte
(c’est un point qui se discute avec le client).